Henri Bergamin, 100 ans
«J’ai toujours été heureux!»
Le 19 décembre 2023, dans sa jolie maison de campagne, le Comptonois Henri Bergamin célébrait son 100e anniversaire en compagnie de sa femme Ernestina, de ses quatre enfants et de nombreux membres de sa famille. Nous avons rencontré le centenaire pour parler de cette vie bien remplie.
L’homme est paisible, il parle calmement de sa vie qu’il a aimée et qu’il chérit encore. Si sa vue n’est plus très bonne, sa mémoire l’est totalement. C’est avec une multitude de détails qu’il nous a raconté des étapes de son existence.
D’origine italienne et québécoise
Les parents de Henri, Valentino Bergamin et Ève Roy, ont uni leur destinée le 19 juillet 1921. Valentino avait quitté l’Italie pour le Canada neuf ans auparavant et il travaillait comme journalier au Canadien Pacifique à Sherbrooke alors qu’Ève effectuait des travaux de couture dans un atelier. Ils ont eu trois garçons, Henri, Claude et Roland, élevés dans cette ville estrienne.
Tout jeune, Henri a vite démontré de bonnes aptitudes à l’école. Ses capacités avaient été si bien remarquées par le frère Arsène de l’école Racine que ce dernier trouva le moyen d’accueillir le garçon dans sa classe malgré le fait qu’il n’avait pas encore six ans. « J’étais assis près du bureau du frère et je pouvais me plonger dans des livres d’école. J’ai pu apprendre à lire, à écrire et à compter. J’ai eu de très bonnes notes, je me retrouvais souvent bon premier d’année en année. J’ai étudié jusqu’à ma huitième année au Séminaire, ce qui m’a permis d’apprendre l’anglais qui m’a servi dans mes futurs emplois. »
Pendant les vacances, le jeune Henri va passer ses étés à la ferme de son arrière-grand-père à Garthby où il adore donner un coup de main.
De travail en travail
Adolescent, Henri avait l’habitude d’apporter sa boîte à lunch à son père à la gare de triage du Canadien Pacifique. Il y trouvera ainsi un premier emploi : celui de porteur d’eau aux employés qui déchargent du charbon. « J’avais 15 ans, je faisais 15 ¢ de l’heure! C’était tout nouveau pour moi de faire de l’argent! J’avais 9 $ dans mes poches la fin de semaine !, nous raconte Henri. Je pouvais me payer une boisson gazeuse à 10 ¢, aller au cinéma voir des vues de cow-boys à 25 ¢ et il me restait encore de l’argent! Puis, à 16 ans, j’ai ensuite été engagé comme balayeur à la Dominion Textile. Mon salaire est passé à 16 1/2 ¢ de l’heure! J’aimais pas ben ça, j’ai fait ça juste pendant un an et demi. »
Au printemps 1942, alors que la Seconde Guerre mondiale fait rage en Europe, Henri se rend au Lac-Saint-Jean pour occuper un poste de foreur de trou pour le dynamitage pour la construction du barrage de l’Alcan. « Ça, c’était très payant, j’avais 50 ¢ de l’heure. » Toujours disponible à prendre la route pour un nouvel emploi, il enfilera ensuite différents boulots ici et là au Canada dont ceux de décharger du bois de pulpe des trains en Ontario ou contribuer à la construction d’une route vers l’Alaska en Colombie-Britannique.
Or, la conscription fait appel aux hommes valides pour grossir les rangs de l’armée. En 1943, Henri et son frère Claude entrent dans la Marine canadienne. « On a passé 18 mois à la base navale de Cornwallis en Nouvelle-Écosse à s’entraîner, à monter, démonter, huiler des canons et des mitrailleuses, on était prêts à aller travailler sur un balayeur de mines, mais le navire a eu des problèmes, on a tenté de le réparer, puis, il ne fonctionnait toujours pas, si bien qu’on n’a jamais franchi l’océan pour prendre part au conflit !, nous explique Henri. Enfin, en 1945, on est revenus à la vie civile. On est allés travailler comme bûcherons aux États-Unis, mais ce n’était pas facile comme boulot! »
Par la suite, le destin va tourner pour Henri. Le 2 février 1947, il est engagé comme chauffeur de locomotive au Canadien Pacifique. En parallèle, il achète la maison familiale à Sherbrooke en 1950. Il aime son travail, il fait un bon salaire, tout va bien, il le conservera jusqu’à sa retraite… mais il lui manque quelque chose…
Un grand amour
Une étrange rencontre va apporter un tournant à son existence. « En 1954, j’étais en voyage aux États-Unis quand je me fais accoster par un gars sur le trottoir. Il me propose des billets pour aller au Mexique. Je ne m’étais jamais imaginé que j’irais là, un jour. C’est fou, hein, le hasard? Ça allait pourtant changer ma vie! »
En octobre 1955, Henri se rend ainsi à Mexico. À 32 ans, il n’est pas marié et n’a pas de prétendante sérieuse. Alors qu’il a besoin de chaussures, il entre dans un magasin pour s’en procurer une paire. L’employée qui le reçoit ne parle pas bien anglais et va chercher sa sœur à l’étage. Ce sera le coup de foudre pour Henri! Il est charmé par la belle jeune fille de 20 ans qui descend l’escalier devant lui. Il achète deux paires de chaussures, mais il n’a qu’une idée en tête, l’inviter à un rendez-vous pour la revoir. Ils dîneront ensemble le lendemain et… pendant les mois suivants, alors qu’il est revenu au Canada, les nouveaux amoureux correspondront par téléphone et par lettres. Si bien qu’en août suivant, le jeune homme retournera au Mexique afin d’aller faire la grande demande officielle à ses parents, un moment qu’Henri n’oubliera jamais. « J’étais très nerveux et bien impressionné par cette famille. J’étais tout seul de ma gang, là, moi! Ils étaient dix autour de la table. J’avais du mal à parler… On avait une interprète, parce que je parlais très peu espagnol… Sa mère trouvait qu’elle était jeune pour se marier. Mais sa belle-sœur avait alors répliqué, tu étais encore plus jeune qu’elle quand tu t’es mariée, toi! J’étais correct, elle venait de me donner un bon coup de main! Et c’est là que sa mère a dit oui! »
Le couple unira sa destinée au Mexique par un mariage civil le 25 juin 1956 – procédure obligatoire dans ce pays- et par un mariage catholique le 4 juillet suivant. Un an plus tard, ils s’installeront à Sherbrooke. De cette union naîtront une fille et trois garçons : Carlos, Marco, André et Carmen.
Vivre à la campagne
Henri Bergamin espérait un jour avoir sa ferme à lui. Lorsqu’il apprend en 1958 qu’une belle terre est en vente à Compton, il s’en porte acquéreur. « Les bâtiments avaient besoin d’être restaurés, mais comme j’étais habile de mes mains, j’ai réparé et agrandi l’intérieur comme l’extérieur, d’année en année. »
Puis, il se part un élevage de moutons. Ainsi, il fera la vente d’agneaux à des commerces italiens de Montréal. À part un intervalle d’une année où ils sont allés vivre au Mexique, mais sont revenus parce qu’ils s’ennuyaient du Québec, ils sont demeurés à Compton. « J’aimais bien mon travail au Canadien Pacifique. Je travaillais le jour sur ma ferme et le soir comme mécanicien à la gare de triage. J’y ai travaillé jusqu’en 1988, à ma retraite. »
Toujours heureux!
Lorsqu’on demande à Henri Bergamin comment il a aimé ses cent ans de vie, il nous dit avec un sourire calme et serein : « J’ai toujours été heureux! Je n’ai pas eu de grandes passions ni de grands rêves, mais j’ai eu une belle jeunesse, on s’amusait avec rien, puis j’ai été bien avec Ernestina et mes quatre enfants. Dans le fond, je n’ai jamais été malheureux! J’avais un bon travail. J’aimais lire quand j’avais des temps libres. Je me tenais au courant de ce qui se passait dans le monde! J’ai vu passer bien de grands changements, les voitures, le téléphone, les ordinateurs, Internet… mais ça faisait partie de la vie, c’était l’évolution naturelle des choses, tout simplement. Et aujourd’hui, bien, je me trouve chanceux. J’ai 100 ans, pas de maladie, je suis bien et j’ai encore ma femme et mes enfants à mes côtés aussi.
La vie, vous savez, elle est bien belle! »