Les travailleurs étrangers seront-ils au rendez-vous?

Les travailleurs guatémaltèques présents à Compton l’an dernier en des temps meilleurs, lors de la Fiesta latino au parc des Lions.

Danielle Goyette

30.06.2020

La situation est complexe. L’écho en a discuté avec le directeur général de FERME, madame la ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire Marie-Claude Bibeau et différents producteurs de Compton. Certaines fermes s’en sortent mieux que d’autres.

Par Danielle Goyette

En avril aux Vallons maraîchers, on avait préparé les lieux afin d’accueillir les neuf travailleurs guatémaltèques attendus à la mi-mai. À leur arrivée, ils allaient partager deux maisons de ferme afin de bien vivre leurs deux semaines de confinement. Josée Gaudet et Jacques Blain avaient tout planifié et organisé les lieux en conséquence. Or, à la mi-mai, le gouvernement du Guatemala resserrait drastiquement les conditions de confinement. Tout devenait soudain critique. Au moment de cet entretien, la situation était encore précaire et on ne savait pas si les travailleurs allaient arriver ou non.

« On est encore dans l’incertitude… On fait de l’urticaire et on travaille de bien longues journées! »

Josée Gaudet

« Chaque semaine, il y a différentes mises à jour sur la situation et on va croire à leur arrivée quand ils seront là!, déclare Josée Gaudet. Nous attendons neuf travailleurs, alors que nous en recevons douze habituellement. Ce sont nos mêmes employés qui viennent chaque année, donc, cela a un peu aidé à ce qu’ils puissent quitter leur pays. Par contre, trois d’entre eux n’ont pas obtenu leur approbation. Ils arriveront aussi bien plus tard, on les attendait fin avril pour la cueillette des asperges, mais ils risquent de n’être là qu’à la fin mai! En plus, il faudra qu’ils vivent leurs deux semaines de quarantaine. On a disposé des affiches en espagnol sur les mesures à suivre partout dans leurs lieux d’hébergement – on a deux maisons au lieu d’une pour les accueillir cette année-. Mais, ça ne nous inquiète pas, on sait qu’ils seront prudents. En fait, là, notre priorité, c’est qu’ils arrivent! Surtout qu’en plus, lorsqu’on appelle des Québécois qui nous avaient envoyé leur CV, ils nous disent qu’ils préfèrent finalement continuer de recevoir la PCU au lieu de venir travailler… Même chose avec les étudiants… On comprend que ces prestations-là ont été créées pour aider les gens, mais, pour nous, elles engendrent un gros problème de perte de main d’œuvre. Actuellement, il nous manque une bonne dizaine d’employés et je ne sais pas comment va se passer cette saison! »

Des travailleurs de plus qu’à l’habitude

Du côté des Serres Lamarche, Diane Lamarche et Jacques Pouliot vivent une situation bien différente. Eux, ils auront deux employés de plus cette année! Diane Lamarche nous explique. « Nous, je pourrais dire que nous sommes dans les chanceux! Nous avions trois travailleurs guatémaltèques avec nous cet hiver dont deux devaient rentrer chez eux ces jours-ci et nous en avons trois qui sont arrivés le 19 avril qui ont fait leur confinement avant de commencer le travail le 4 mai. On a donc deux employés de l’hiver coincés ici à cause de la fermeture des frontières de leur pays. Nous avons pu avoir une prolongation de leur permis de travail pour un an et ils pourront ainsi demeurer avec nous et travailler jusqu’à ce que cela change. Il y en a un qui a une famille là-bas et il s’ennuie d’eux par contre. Puis, du côté des mesures sanitaires, on applique déjà le programme de salubrité alimentaire du CanadaGAP, donc, on continue de faire attention comme toujours en se lavant les mains et en portant des gants entre autres. On a ajouté la distanciation, mais comme on a assez de place dans les serres, ce n’est pas un problème. Tout va bien chez nous!»

Même son de cloche, du côté de la Ferme Ferland et Frères qui œuvre en production laitière. Julia Ferland nous raconte : « De notre côté, nos travailleurs étrangers restent avec nous habituellement pendant un an et ils travaillent seulement à la ferme avec les animaux. Je n’en ai pas aux champs. Donc, pour l’instant, ça ne nous a pas encore affectés vu que je change de travailleurs au mois de juillet. Il se peut par contre que le prochain tarde à arriver cet été. Nous allons donc demander une prolongation du permis de travail de celui qui est déjà là pour qu’il puisse demeurer avec nous en attendant que la situation change. »

Photo: FERME (Fondation des Entreprises en Recrutement de Main d’oeuvre agricole étrangère)

Les efforts menés pour la venue des travailleurs étrangers

Du côté de la Fondation des Entreprises en Recrutement de Main d’œuvre agricole étrangère (FERME), on travaille en permanence, en collaboration avec les gouvernements, pour que le plus grand nombre de travailleurs étrangers puissent venir au pays malgré la pandémie.

Monsieur Fernando Borja, directeur général de FERME, témoigne de la situation. « À l’heure actuelle, nous n’avons pas encore accueilli tous les travailleurs étrangers que nous aimerions avoir dans nos fermes. Dans le secteur agricole, en mars, c’est 50 % des travailleurs attendus qui sont arrivés alors qu’en avril, on en a accueilli 65 % et 24 % en mai pour l’instant. Le gouvernement fédéral a consacré beaucoup d’effort à cette crise afin que les travailleurs guatémaltèques puissent continuer à arriver, mais ce n’est pas facile parce que le gouvernement du Guatemala vient à nouveau de resserrer les mesures de confinement à cause d’une hausse de contamination. On a également besoin de coopération du côté du gouvernement mexicain, car avec le confinement, les bureaux sont fermés et les travailleurs ne peuvent compléter leurs démarches pour venir au Canada. Certains employeurs n’ont encore reçu aucun travailleur et cela est inquiétant, alors que d’autres fermes ont tous les travailleurs espérés. Nous sommes encore loin d’avoir accueilli tout le monde. Il faut comprendre qu’en Ontario, les travailleurs arrivent dans le premier trimestre de l’année, donc plusieurs étaient déjà arrivés avant les mesures restrictives, alors qu’au Québec, c’est surtout dans le deuxième trimestre, en mai-juin qu’ils arrivent. En comparaison avec l’an dernier, lors de notre premier trimestre 2020, nous n’avons reçu que 67 % des travailleurs prévus à pareilles dates alors qu’au deuxième trimestre, nous n’avons accueilli que 33 % d’entre eux. Je pense qu’on n’aura pas le choix de devoir s’accommoder avec une baisse de ces employés cette année et cela risque fort d’avoir un impact sur les productions. Ces dernières années, on notait une augmentation annuelle des productions d’environ 10 %, mais, là, on se dirige malheureusement vers une diminution. »

L’écho a également contacté madame Marie-Claude Bibeau, députée de Compton-Stanstead et ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire au sujet du manque de travailleurs dans nos fermes cet été à Compton.

Les gouvernements font de leur mieux dans ce contexte exceptionnel. Des sommes d’argent ont notamment été avancées pour aider divers secteurs de travailleurs. Mais qu’en est-il du côté de nos agriculteurs et de nos fermiers ? Madame la ministre Bibeau nous explique. « Il faut savoir que le gouvernement fédéral a transféré une enveloppe de trois milliards de dollars aux provinces afin qu’elles répartissent des sommes dans différents secteurs. Ces argents doivent être distribués auprès des travailleurs essentiels qui gagnent moins de 2500 $ par mois et les fermes et productions agricoles devraient en faire partie. Les provinces l’appliquent comme elles le veulent. En ce qui a trait à la Prestation canadienne d’urgence (PCU), elle vise à remplacer un revenu principal perdu en raison de la COVID-19, soit parce que l’emploi est suspendu, soit parce que le travailleur est lui-même malade ou qu’il doit prendre soin d’un proche, ou s’occuper des enfants pendant l’arrêt des classes. Aussitôt que la situation le permet et que leur environnement de travail est sécuritaire (au besoin, c’est la CNESST qui décide), on s’attend à ce qu’il retourne au travail. Dans le cas de la Prestation canadienne d’urgence pour étudiants, les jeunes doivent attester qu’ils ont cherché, mais qu’ils n’ont pas réussi à trouver un emploi. Les employeurs sont donc invités à faire connaître leurs postes sur plusieurs plateformes. Les jeunes ne peuvent donc pas refuser l’emploi qu’ils auraient normalement occupé cet été, ni limiter leurs heures, pour toucher l’une ou l’autre des prestations.

Dans les deux cas, afin de permettre à certains travailleurs qui auraient perdu leur revenu principal, mais conservé un revenu secondaire qui ne leur permette pas de subvenir à leurs besoins, comme par exemple les pompiers volontaires, nous avons fixé la ligne à un revenu moindre de 1000 $ par mois comme critère d’admissibilité. Toutefois, il ne s’agit pas là d’une raison pour limiter ses heures de travail ou refuser un emploi qu’on pourrait occuper. Nous avons choisi de faire confiance aux Canadiens, mais il faut aussi savoir que les mécanismes de suivi fiscal s’appliqueront dans les prochains mois afin de réclamer les trop perçus. »

Photo: FERME (Fondation des Entreprises en Recrutement de Main d’oeuvre agricole étrangère)

Et du côté des travailleurs étrangers ?

En ce qui a trait à la venue habituelle des travailleurs guatémaltèques à Compton, la situation demeure très inquiétante. Le 14 mai dernier, le président du Guatemala, Alejandro Giammattei, décidait de resserrer de façon drastique les mesures de confinement dans son pays, car une forte hausse de cas de COVID-19 était survenue ces jours-là. Il annonçait donc une interdiction pour la population de sortir de leur maison ou de circuler entre communautés sauf en cas d’extrêmes urgences. Cette décision sur l’arrêt des vols nolisés prévus pour le voyage des travailleurs guatémaltèques a semé un vent de panique chez les producteurs comme chez ces travailleurs. Les équipes de FERME (Fondation des Entreprises en Recrutement de Main d’œuvre agricole étrangère) qui travaillent sans relâche actuellement pour accommoder les fermes en attente de leurs travailleurs étrangers se sont tout de suite mises au travail auprès des autorités guatémaltèques afin de tenter de replacer les vols nolisés, mais la situation demeure extrêmement précaire.

Quand L’écho a fait part de la situation à madame la ministre Marie-Claude Bibeau, elle en a rapidement informé le ministre des Affaires étrangères François-Philippe Champagne et elle a demandé à son équipe d’appuyer l’entreprise FERME dans ses démarches. Madame la ministre Bibeau nous énonçait ceci: « On avait pourtant réussi à faire assouplir les directives pour le transport des travailleurs à l’intérieur du pays pour qu’ils puissent se rendre à l’aéroport sans problème et les vols qu’ils prenaient étaient nolisés pour eux. On sait maintenant que FERME a réussi à faire déplacer les vols des week-ends en semaine lorsque les restrictions de déplacement à l’intérieur du pays seront moins strictes. Cela veut dire que les agriculteurs canadiens devraient recevoir quand même leurs travailleurs, mais peut-être avec des retards d’une dizaine de jours. De son côté, le ministre Champagne continue de faire le suivi. Il faut aussi savoir que nous avons a un canal de communication bien ouvert avec le Guatemala, nous allons donc continuer de garder un contact étroit avec eux à ce sujet. »

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