Voyons au-delà de nos différences
La penseuse et la grenouille
Hier soir, je me suis assise au bord du lac et, pensive, j’ai contemplé mon reflet longuement. Ce drôle de reflet qui me suit partout. Qui marche avec moi devant les vitrines des magasins, qui me surprend par la fenêtre de la voiture, déjà prêt à partir avant même que je n’ouvre ma portière. Ma fidèle image qui, même par temps gris, se montre le bout du nez dans chaque flaque d’eau sur mon chemin.
Je l’ai contemplée, curieuse de la voir au-delà de son apparence, de son potentiel de beauté et je me suis demandé, qu’est-ce que les autres voient? Que regardent-ils? Pour eux, qui ne croiseront jamais mon reflet, qu’y a-t-il à voir? Certes, il y a mon apparence, ce corps d’adulte trop grand que je traîne bien malgré moi, parce qu’en toute franchise je ne l’ai pas vraiment choisi. Ce corps qui semble donner le ton à certaines de mes interactions et qui fait première impression bien avant que je ne me présente.
Confrontée à la limite de mon image, à la moi du lac qui n’est qu’une partie floue de qui je suis, j’ai grimacé. J’ai tiré mes joues, fait un nez de cochon, j’ai ébouriffé mes cheveux à en faire peur aux poissons. Je me suis étiré un sourire exagéré, puis une grenouille est sautée à l’eau, ennuyée par mon spectacle loufoque, effaçant par le fait même une partie de l’image. Ses petites vagues ont gentiment balayé les variantes, pour ne laisser que l’essentiel, mes deux yeux. Pas de sourire changeant, de cheveux frivoles, seulement mes deux grands yeux prêts à accueillir le monde.
Derrière mon visage et mon corps se trouve la personne que je suis, tout entière, ma bienveillance, mon envie de rire et d’aimer. Mon sens de l’entraide, ma gratitude, il y a là toutes ces choses qui me représentent, qui me définissent. Il y a tant à voir au-delà des apparences, au-delà du reflet du lac.
Je me suis penchée pour remercier la plongeuse pour la réponse toute simple qui se trouvait sous mes yeux et j’ai souhaité, tout bas, que les gens que je croiserais regardent au fond de mes yeux plutôt que mon apparence un peu floue. Que, comme la petite rainette, ils plongent dans mes yeux sans se rebuter à mon corps trop similaire ou différent, que les idées préconçues s’estompent par petites vagues d’ouvertures et d’amour.
Au fond, nous sommes différents et c’est ce qui fait la beauté de notre monde, de notre communauté. Je souhaite que nous accueillions les autres comme nous voudrions être accueillis et que nous nous regardions dans les yeux pour voir ce qui nous assemble plutôt que ce qui nous différencie.
Notre force se trouve là, au-delà de nos différences, de nos reflets.
Samanta Goulet