Créer une guitare de A à Z
Compton au boulot: Le luthier Pierre Barrellon
Natif de la France, le luthier Pierre Barrellon est arrivé au Québec il y a dix ans. Il a vécu un temps à Québec, puis à Scott (Beauce), avant de déménager en Estrie. Depuis plus de deux ans, il est avec sa conjointe Laetitia, et leurs quatre enfants, en processus de reprise des Jardins La Val’heureuse. Au même endroit, son atelier a été aménagé pour lui permettre de poursuivre son métier avec passion et dévouement.
Parlez-nous de votre parcours.
Disons que j’ai porté plusieurs chapeaux. Je joue de la guitare depuis mes huit ans, le premier grand amour de ma vie! Dans le village où habitaient mes grands-parents, il y avait un luthier, spécialisé en guitare. J’allais lui rendre visite chaque fois que j’étais dans le coin. C’est là que j’ai développé un intérêt pour ce métier. Vers mes 15-16 ans, je lui ai demandé pour faire un stage avec lui, mais il a malheureusement refusé. J’ai donc mis ce projet de côté et j’ai finalement fait mes études en biologie, en me spécialisant dans l’écologie et le comportement animal. J’ai travaillé dans ce domaine quelques années avant de rencontrer ma conjointe et d’avoir le projet avec elle de venir vivre au Québec. Rendu ici, j’ai pris du temps dans mon rôle de père, puis j’ai développé une carrière artistique en photographie. Je donnais aussi des formations, j’avais ma chambre noire commerciale à Québec et j’offrais des services de photographie. En 2020, j’ai rencontré un autre luthier et j’ai fait une « rechute » dans ce domaine. J’ai donc suivi une formation à l’École nationale de lutherie de Québec. Je vis de cette passion depuis, donc je répare et je crée des guitares.
Est-ce que votre parcours varié laisse une trace sur votre métier de luthier?
En effet, je me suis rendu compte qu’être luthier rassemblait beaucoup de compétences que j’avais développées au fil de mon parcours. L’approche scientifique est importante pour moi, et je l’applique beaucoup en lutherie. Il faut comprendre relativement en profondeur les caractéristiques des matériaux et le fonctionnement de la guitare, puis intégrer à la fabrication, comme à la réparation, un certain nombre de tests « physiques ». Bref, il y a beaucoup de prises de mesures, de rigueur dans l’approche, donc mon passé de biologiste m’a bien aidé de ce côté. Tout comme pour l’acoustique qui n’existe que parce que nous avons des oreilles! De plus, les aspects esthétiques et artistiques, qui ne sont pas toujours nécessaires dans le domaine de la lutherie, demeurent importantes dans mon processus à moi, ancien photographe. J’aime cette recherche esthétique et d’apporter quelque chose d’inédit à ma création.
Quels sont les défis dans votre travail?
En lutherie, nous sommes dans cette contrainte de produire un objet qui a une utilité expressive. C’est une sorte de mise en abîme de faire quelque chose d’artistique, mais qui doit être fonctionnel pour qu’une personne en fasse une utilisation artistique. On se questionne donc continuellement sur la structure et la forme. On veut produire un instrument résistant, mais on ne le veut pas trop solide ou rigide, car il ne sonnera pas bien. Il faut trouver cet équilibre en gérant plein de petits paramètres et donc gérer cette frustration de ne jamais atteindre parfaitement l’ensemble de nos objectifs, comme dans n’importe quel métier d’art.
Que vous apportent la réparation et la création d’un instrument?
Il y a une égale importance pour moi entre créer un instrument et rendre vie à un instrument qui existe déjà. Cela évite de le jeter, évidemment, mais permet aussi de préserver sa mémoire. Je suis convaincu qu’un objet aussi sensible qu’un instrument de musique porte une espèce de mémoire. C’est quelque chose qui m’intéresse, et puis faire partie de l’histoire de cet objet me motive. En plus, la réparation m’aide à mieux comprendre l’instrument. Plus j’en répare, plus je comprends ce qui a tendance à casser dans une guitare, comment elle est manipulée par le musicien, etc. Bref, c’est très formateur. La création d’un instrument, c’est complètement différent. On part de zéro, donc on se met beaucoup plus en danger. On a la responsabilité totale de ce qui adviendra, de la réussite ou non de l’objet final. Chaque nouvelle guitare est une nouvelle aventure en fait. Au minimum, il faut mettre 150 heures par instrument, donc il faut être prêt à investir tout ce temps. C’est un métier très complet qui demande de la patience et de la vision, et qui correspond très bien à ma personnalité. C’est un métier-passion que j’aime partager avec les musiciens qui viennent me rencontrer à l’atelier!
Découvrez son site Web : veillith-lutherie.com