Un dossier crucial pour l’autonomie alimentaire au Québec
L’abattage de poulet est particulièrement problématique. On pouvait lire en 2021 qu’Olymel et Exceldor contrôlent 96 % de l’abattage de poulets au Québec. Avec une telle concentration, il n’est pas surprenant que lorsque le système est défaillant – pensons au conflit de travail chez Exceldor en 2021-2022- on assiste à des situations déplorables qui marquent l’imaginaire comme peut l’être l’euthanasie de millions de poulets.
Peu d’options pour l’abattage à petite échelle
À plus petite échelle, il y a peu de possibilités pour l’abattage des poulets. En particulier pour les éleveurs qui souhaitent vendre leur production. À partir de Compton, le choix le plus évident est l’Abattoir Ducharme, situé à Saint-Alphonse-de-Granby, à une heure de route. Cet abattoir détient un permis fédéral. Jusqu’à tout récemment, il y avait la Ferme des Voltigeurs (Drummondville) et Volaille des Cantons (Sainte-Hélène-de-Bagot) vers qui se tourner. La première entreprise ayant robotisé sa chaîne pour pallier le manque de main-d’œuvre ne peut plus désormais ralentir la cadence de sa chaîne de production pour admettre de petits lots de volailles. Quant à la deuxième entreprise, elle a pris la décision cette année de suspendre l’abattage à forfait de petits éleveurs en raison des risques de contamination liés à la grippe aviaire.
De son côté, le Petit Abattoir, dédié aux petits éleveurs et situé à la limite de la Montérégie et de l’Estrie, dans la municipalité de Saint-Joachim-de-Shefford, n’a pas survécu à sa première année d’opération. La coopérative de solidarité avait tout de même réussi à aménager ses installations dans des conteneurs et à obtenir une licence d’exploitation de l’Agence canadienne des inspections. Il semble que le manque de main-d’œuvre et le roulement de personnel, embûche que l’on retrouve aussi dans les grandes entreprises, aient eu raison de l’entreprise en démarrage. Mais il faut reconnaître que l’initiative était louable et se présentait comme une alternative à l’abattage industriel pour les petits éleveurs.
Contraintes de l’abattage industriel et pistes de solution
Il y a une réelle réflexion qui continue de se faire sur l’abattage industriel. Certaines des techniques utilisées dans le processus d’abattage industriel peuvent laisser pour compte le bien-être animal et des intervenants de l’industrie continuent de chercher à en améliorer le sort avant la mise à mort. La présence de vétérinaires sur place contribue notamment à la surveillance de ces conditions. De plus, l’abattage des volailles est une industrie qui consomme beaucoup d’eau, car l’eau est utilisée à toutes les étapes de la chaîne d’abattage pour le nettoyage et le transport des déchets (sang, plumes, viscères), ainsi qu’au refroidissement des volailles.
Certains abattoirs mettent beaucoup d’effort à contrer les problèmes d’utilisation de l’eau. Dans le cas de l’Abattoir Ducharme, la réserve d’eau municipale ne suffisait pas. L’entreprise a donc dû mobiliser un camion-citerne pour s’approvisionner en eau plusieurs fois par jour, afin de faire fonctionner l’usine. Avec ses nouvelles installations, Georges Martel, le copropriétaire de la Ferme des Voltigeurs, nous dit qu’il s’en sort mieux de son côté. L’entreprise familiale s’est dotée d’un système de traitement des eaux à l’interne. L’abattoir peut donc s’approvisionner en eau via le réseau d’aqueduc de la Municipalité et retourner ses eaux usées dans les égouts, qui passeront ensuite par l’usine de filtration.
Projet-pilote d’abattage à la ferme
Le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec tente un projet-pilote d’abattage de poulets à la ferme sur cinq ans, tout en permettant aux petits éleveurs de vendre leurs poulets entiers à la ferme ou dans un marché public. Avec un permis de préparation d’aliments en plus, ils peuvent même transformer leurs poulets en plats cuisinés. Le projet-pilote est réservé aux élevages de 300 poulets et moins par année. Pour ce faire, un exploitant doit soumettre une demande au Ministère pour être autorisé à participer. Depuis 2022, sept autorisations au total ont été délivrées. Quatre projets ont été en activité en 2023. Selon le site du MAPAQ, un nouvel appel de projets pourrait avoir lieu en 2024. Pour être admissible, la ferme doit évidemment s’équiper pour l’abattage d’installations pour assurer l’hygiène et la salubrité des opérations. Dominic Lamontagne, auteur des livres La ferme impossible et L’artisan fermier est d’avis que de telles installations nécessitent un investissement de 5 000 à 10 000 $. La préparation de plats cuisinés constituerait à ce moment-là le moyen de rentabiliser un petit élevage de 300 poulets, car le poulet entier vendu sous vide génère un très faible profit, plus ou moins 3 $. L’idée est de mettre en place un système simple et reproductible par un fermier artisan. Ainsi, il serait accessible pour plusieurs familles de se lancer dans l’aventure de l’élevage. M. Lamontagne affirme dans l’épisode du 6 juillet 2023 du podcast Les idées radicules que « se nourrir les uns les autres est un problème particulier au Québec ». En ce moment, il y aurait 0,5 % d’agriculteurs pour nourrir le reste de la population. Ce déséquilibre étant trop grand, un modèle d’abattage à la ferme, tel que proposé par le projet-pilote du MAPAQ, pourrait permettre de tendre vers un idéal de 5 à 10 % d’agriculteurs dans la population. Le Guide des bonnes pratiques relatives à l’exploitation d’un abattoir de poulet à la ferme1, disponible en ligne, est un document simplifié et illustré pour expliquer ce qui est attendu des éleveurs qui souhaitent développer un projet d’abattoir dans le cadre de l’arrêté ministériel en vigueur pour une période de cinq ans, jusqu’en 2026.
Peut-on ainsi commencer à rêver enfin d’un avenir meilleur pour les petites fermes d’élevage et les petits abattoirs au Québec? Du moins, souhaitons-le!
1 https://www.enpleinegueule.com/abattoir/
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