Série Toponymie : Les chemins désignés par leur destination

Jeanmarc Lachance

Président de la Société d’histoire de Compton
25.11.2020

Par Jeanmarc Lachance, président de la Société d’histoire de Compton

À Compton, six routes doivent leur nom à la destination vers laquelle ils nous conduisent; ce sont les chemins de Hatley, Cookshire, Moe’s River, Martinville et de la Station. Quant au chemin de Compton, il s’agit d’un cas particulier…

HATLEY (chemin de) : Depuis la route Louis-S.-St-Laurent, au cœur du village de Compton, cette route prend la direction sud-ouest jusqu’aux limites de la municipalité de Hatley. En fait, le chemin de Hatley se rend à sa jonction avec le chemin Vaillancourt d’où il devient la rue Meadow dans Hatley. Au début du XIXe siècle, cette route était connue comme étant la Charleston’s Road. Ce toponyme, donné en l’honneur de Charles Stewart, premier pasteur anglican de l’endroit, désignait alors le village de Hatley[1].

Depuis Compton, en passant par Hatley, l’ancienne route des diligences permettait de se rendre jusqu’à Stanstead et de là, aux États-Unis[2]. Pour les familles d’origine étatsunienne qui s’étaient établies dans les Eastern Townships, ce lien routier facilitait les envois de colis, les échanges de courriers ainsi que les visites à leur parenté et autres connaissances demeurées dans les états de la Nouvelle-Angleterre.

Certaines personnes se rappelleront sûrement que la partie de cette route qui était dans l’ancienne municipalité du village de Compton était désignée rue de l’Église. Les anglicans y avaient déménagé leur église vers 1854[3]. Ils l’ont fréquentée jusqu’à la construction de la nouvelle église St. James The Less, église érigée sur le site initial de la première, chemin Cochrane, et consacrée en 1887. L’année même où le lieu de culte des anglicans se retrouve sur la rue de l’Église, la première église catholique Saint-Thomas- d’Aquin y est construite quelques centaines de mètres plus loin, à la sortie du village. Cette dernière et son cimetière se trouvaient sur le site actuel des résidences de la rue Prudence. L’appellation rue de l’Église est cependant devenue obsolète depuis la construction de la nouvelle église catholique en 1955-56 et la démolition de l’église centenaire.

COOKSHIRE (chemin de) : Un peu au sud du centre du village de Compton et à partir de la route Louis-S.-St-Laurent, le chemin de Cookshire prend d’abord la direction est puis tourne au nord-est pour atteindre, 26 kilomètres plus loin, la ville de Cookshire dans le canton d’Eaton. Il faut rappeler l’importance de Cookshire dans l’histoire des municipalités de Compton (Canton de Compton, village de Compton et Compton Station). Dès la création des municipalités de comtés en 1855, Cookshire devient le chef-lieu du comté municipal où logent les services administratifs, judiciaires et politiques du comté de Compton. Les maires des municipalités de Compton s’y rendaient régulièrement pour les réunions du Conseil de comté. Cette structure de l’organisation municipale du Québec a été remplacée par la création des municipalités régionales de comté (MRC) dont celle de Coaticook en 1982. 

MOE’S RIVER (chemin de) : À partir du chemin Cochrane, en face du Compton Cemetery, direction est, le chemin de Moe’s River nous amène directement au hameau du même nom. Moe’s River fut, dans la deuxième moitié du XIXe et le début du XXe siècle, le lieu d’une certaine activité industrielle. Le dénivelé de la rivière Moe y favorisait la construction d’un barrage afin d’endiguer l’énergie hydraulique nécessaire à ce genre d’activités. Malheureusement les limites de la ressource hydraulique et les procédés industriels de l’époque n’ont pas résisté aux dictats du progrès de telle sorte qu’il ne reste plus que quelques vestiges d’une ère industrielle maintenant révolue.

Du hameau de Moe’s River, la route suit son cours vers les limites des cantons de Compton et de Clifton et garde son nom jusqu’à sa jonction avec la route 252 dans la municipalité de Sainte-Edwidge-de-Clifton.   

MARTINVILLE (chemin de) : Sur le versant est de la rivière Moe, à partir du chemin de Moe’s River, le chemin de Martinville se dirige vers le Nord puis bifurque en direction nord-est pour atteindre le village de Martinville quelque 6,5 kilomètres plus loin. Incorporé en 1895, Martinville doit son nom à Daniel Martin qui érigea un barrage sur la rivière aux Saumons pour y établir un moulin à scie. D’abord connu sous le nom de Martin’s Mills, le village prendra plus tard le nom de Martinville.

STATION (chemin de la) : À partir de la route Louis-S.-St-Laurent au centre du village et au nord du chemin de Hatley, cette route, en direction ouest, se rend jusqu’à la jonction des chemins Veilleux et de Compton. Son nom lui vient de la gare de chemin de fer qui se trouvait du côté sud-ouest de la voie ferrée, à quelques centaines de mètres de l’actuel chemin de la Station. C’est en 1853 que le tronçon Sherbrooke-Compton-Coaticook, se rendant jusqu’à Island Pond au Vermont, fut inauguré. Cette dernière étape permettait de relier Montréal à la ville de Portland dans le Maine et à son port sur l’Atlantique ouvert toute l’année ce que ne permettait pas le fleuve Saint-Laurent, à l’époque couvert de glaces durant une bonne partie de l’hiver.

Compton comptait deux gares, une à Hillhurst, à la croisée du chemin Gilbert et de la voie ferrée et la gare de Compton Station. La majorité de la population de Compton étant alors anglophone, l’usage courant aura vite fait de désigner cette route par sa destination, the Station’s Road. Le mot anglais « station » est passé tel quel dans le langage des Comptonois et Comptonoises francophones, terme depuis accepté par l’Office québécois de la langue française pour désigner une gare ferroviaire de peu d’importance[4]. Malgré le déménagement de la gare de Compton à Stanstead-Est en 1970, le chemin de la Station en garde néanmoins la mémoire.

COMPTON, (chemin de) : Depuis la jonction du chemin de la Station et du chemin Veilleux, le chemin de Compton nous amène aux limites de Waterville où il devient le chemin et la rue Compton Est. Faisant initialement partie du canton de Compton, Waterville est devenue, en 1876, une municipalité autonome. Les réorganisations municipales auront ensuite fait en sorte que depuis, le territoire de la Ville de Waterville n’est plus exclusivement dans le canton de Compton, mais emprunte une partie de son territoire à l’ancien canton d’Ascot.

L’appellation chemin de Compton n’est pas sans créer une certaine confusion. Alors qu’habituellement les chemins désignés selon leur destination, le sont à partir du lieu de départ, qui de notre cas est la municipalité de Compton, celui-ci l’est à partir de Waterville. Il est normal que pour les Watervillois et les Watervilloises d’emprunter le chemin de Compton pour s’y diriger, mais pour les gens de Compton, la destination étant Waterville, il serait plus naturel de le désigner par le chemin de Waterville.


[1] Site Internet de la Municipalité de Hatley: https://www.municipalitehatley.com/municipalite/portrait/. (Consulté le 12 octobre 2020)

[2] LAMBERT, Pierre, Les anciennes diligences du Québec, Les éditions Septentrion, 1998.

[3] PATTON, Bruce, Russell Nichols et Pierrette Beaudoin. L’église anglicane St. James The Less de Compton dans Le Courant, Société d’histoire de Coaticook, Automne 2001. Site Internet : http://www.societehistoirecoaticook.ca/fr/le_courant/articles/automne_2001/leglise_anglicane_st_james_the_less_de_compton. (Consulté le 15octobre 2020). 

[4] Site Internet de l’Office québécois de la langue française : http://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=1299411. (consulté le 12 octobre 2020)



Jeanmarc Lachance, Compton, Société d'histoire

Biographie de Jeanmarc Lachance

Président de la Société d’histoire de Compton
Né à Compton, Jeanmarc Lachance étudie au Séminaire de Sherbrooke où il complète son cours classique puis, à l’Université de Sherbrooke, des études universitaires en service social. Sur le plan professionnel, il débute sa carrière à Montréal puis revient à Sherbrooke en 1980 comme gestionnaire de services sociaux aux personnes âgées et aux personnes handicapées. Passionné de généalogie, d’histoire et de patrimoine, il est le président de la Société d’histoire de Compton. Il contribue, par diverses conférences et ses chroniques dans L’écho, à la mise en valeur du patrimoine comptonois et des événements qui ont marqué notre histoire collective.
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